encore faudrait-il que ceux qui veulent dormir puissent le faire

Ils sont tous assis en rond dans le local à vélo de l’immeuble, reconverti pour l’ocasion en salle de réunion. Tous en cercle, chacun sur sa chaise personnelle, que le mot affiché dans le hall de l’immeuble leur demandait d’amener faute de stock à disposition. DIfficile de se faire une palce au milieu des deux-rous, il a fallu en sortir quelques-uns et les stocker dans l’entrée du bâtiment, face aux doubles portes vitrées, visibles depuis la rue, source d’inquiétude vaguement paranoïaque pour les plus nerveux des locataires; mais, parce qu’ils ont conscience du caractère éxagéré d’une telle inquiétude – n’a-t’on pas fait réparer le système de verrouillage des portes ? – ces mêmes locataires n’ont rien dit. Inutile de commencer la journée en passant pour le taré de service.

La lumière grise qui passe difficilement à travers les vitres en plexiglas ondulées n’inaugure rien de bon et ne saurait contribuer à améliorer l’ambiance vaguement morose de réticence feutrée qu’on constate. Tout juste a t’elle – la lumière – l’avantage de cacher un brin les participants les plus réticents qui, ils ne s’y sont pas trompés, sont aller s’asseoir du côté du mur de béton poli, préférant s’accomoder de l’odeur d’humide et des taches non identifiables, que risquer d’être offerts au regard et donc potentiellement attendus comme orateurs. Pour les plus ouvertement fâchés, on notera même la présence de quelques paires de pantoufles aux pieds, signe que la personne n’a même pas daigné mettre ses chaussures pour descendre la cage d’escalier et venir s’asseoir.

En pleine lumière et bien chaussée, on trouve celle que Pas-de-Calais Habitat a chargée d’animer la journée. Au départ ravie de son affectation, la voilà moins sûre de la capacité de sa chemise orange fluo et des documents qu’elle contient à déméler les tensions et faire sortir les non-dits qui ont visiblement bien plus leur place dans ce local à vélo pas-de-calaisien que ses consignes de discussion à chapeaux de couleur et son métaphorique porte-manteau de l’écoute; auquel chacun doit suspendre sa veste du jugement avant d’entrer.

Qu’a cela ne tienne, décide-t’elle en se redressant dans sa chaise, dont le plastique grince à l’excès, ajoutant au solennel de son mouvement, appuyant le caractère officiel de cette envolée, marquant le début de l’expérimentation. Un rapide coup d’œil pour s’assurer qu’elle a bien sous les doigts la feuille d’émargement ainsi que les photocopies de la feuille de route de la journée à distribuer et elle se lance: un Bonjour à tous lancé avec coffre et dynamisme, qui brise net le bourdonnement des discussions privées et fait se tourner les têtes dans sa direction. Bonjour à tous, donc, et la voilà partie pour la récitation – les débuts d’intervention sont toujours les parties les plus formelles, officialité pesante mais nécessaire pour récupérer l’attention de son auditoire et lui confirmer là où il se trouve et le sérieux qu’on attend de lui, avant de pouvoir se permettre plus de légèreté et même un brin d’humour, une fois tout le monde bien confortablement installé dans le déroulé de la discussion – de l’origine et des objectifs du moment qu’ils s’apprêtent à vivre tous ensemble. Ainsi :

  1. Étant donné la multiplicité des journées thématiques officielles,
  2. Étant donné l’inefficacité constatée de ces journées à mobiliser l’opinion,
  3. Dans le but d’éviter la surcharge d’un calendrier administratif français déjà notoirement reconnu comme abondant en jours fériés,
  4. Et afin de concentrer les énergies en un seul moment plus à même d’être réservable et efficace pour les concitoyens,

Il avait été décidé de remplacer toutes les « fêtes de » (des mères, des pères, des voisins, de l’eau et de la musique, etc.) par une seule et même Journée des Consciences. De là :

  • Le test d’un tel remplacement avait-il été décidé dans certaines régions,
  • Le Pas-de-Calais ayant été choisi, c’est tout naturellement que la région avait chargée son organe de logement d’organiser des ateliers de bon voisinage,
  • Et ainsi, l’animatrice bien chaussée était-elle ravie d’avoir réuni autour d’elle tous les habitants de ce HLM pour une journée dédiée à l’expression non violente,
  • Des questions, avant de commencer ?

Devant l’apathie générale, l’animatrice s’apprêtait à continuer lorsque se leva une main. Celle-ci appartenait au locataire du quatrième, appartement 405, venu en sweat et jogging gris, chaussures-chaussons visiblement usés quoique très propres, le tout d’une même marque inconnue à l’animatrice mais dont le logo (une tête d’ours inscrite dans une spirale, devenant une moitié de feuille d’érable) lui rappelait vaguement quelque chose. Bien que absolument partant, comme il l’affirmait, pour ce moment d’ouverture et de partage, l’homme souhaitait savoir combien de temps environ cela risquait de prendre, prétextant du travail à finir et un planning bien chargé. Si elle nota bien les sourires en coin que soulevèrent l’intervention, l’animatrice les attribua à un soutien tacite manifesté discrètement par des voisins qui, bien que plus timides, n’en était pas moins concernés par la durée envisagée de l’atelier. Ainsi, craignant de se mettre à dos son auditoire, c’est avec son sourire le plus conciliant qu’elle répondit que la durée était variable selon leur implication, et alla jusqu’à promettre, tentat ainsi la première blague de la journée, que personne ne serait retenu prisonnier, s’ils devaient vraiment partir. Aucun rire, à peine un soufflement dédaigneux du côté de l’habitant du 404, propriétaire de son logement, venu vétu de l’intégrale du pseudo-randonneur: jean et pull en laine synthétique, chaussures montantes en toile isolante trop neuves pour avoir foulé autre chose que le linoléum du couloir.

Son public plus ou moins réssuré, l’animarice démarré. La première règle de l’atelier est : la bienveillance. Nous sommes ici pour écouter et pour entendre, pas pour juger. La deuxième règle : la patience. Chacun parlera à son tour, on ne se coupe pas la parole, et on attend d’être solicité pour s’exprimer. Normalement, nous commencerions par un exercice de brise-glace mettant en jeu notre corps afin de se débrider, mais ce local est un peu petit pour ça, alors, à la place, l’animatrice distribue à chaque participant un carton vert et un carton rouge et demande de répondre à ses questions en le présentant aux autres : vert pour oui, rouge pour non. Alors, ici : Qui est locataire ? Oui Non Qui est propriétaire ? Oui Non Qui a grandi dans cette ville ? Oui Non Qui vient d’arriver ? Oui Non Qui a un emploi ? Oui Non Qui a des enfants ? Oui Non Envoyez vos réponses !

*Et puis, nous allons faire un rapide tour de table :* Quel est votre prénom ?
Parmi les anciennes « fêtes de », laquelle allez-vous le plus regretter ?

Merci!

Une fois toutes ces informations parfaitement – au sens de, pile autant qu’il faut – superficielles récoltées, et découvert que les voisins s’accordent étonamment bien pour regretter en majorité la fête de la musique, il est temps d’attaquer l’atelier en lui-même. Première question : y a-t’il quelque chose que vous voudriez proposer ? en commençant votre réponse par « Pour la communauté j’aimerais que » et surtout sans nommer personne ici directement.

Après quelques secondes, suffisamment peu pour sentir l’envie à peine contenable plus longtemps, se lève une main, celle d’une habitante du troisième étage, appartement 307, qui s’exclame d’une voix faussement assurée : Pour la communauté, j’aimerais qu’on oblige la personne avec son fauteuil roulant à s’acheter des tapis ! Non parce que les roulements font trembler mes lustres et ça fait du bruit et moi j’ai ma fille de quatre mois déjà quand elle dort c’est rare mais alors en plus ça la réveille et c’est une horreur et elle pleure et c’est pénible ! Tentative de l’animatrice – Alors… – d’éviter que la discussion ne dérive directement en lynchage qui échoue puisque sans attendre – mais en levant la main – l’habitant du 507 emboîte le pas : Alors moi je vis au-dessus donc j’ai pas le bruit des roues, par contre la télé qui gueule toute la journée c’est insupportable et alors pour la communauté j’aimerais que, bon, heu… Alors il faudrait faire quelque chose ! immédiatement suivie par la locataire du 403 qui approuve Ah oui ça la télé on en peut plus, moi je suis juste en face et ça hurle et du coup je peux rien enregistrer avec mon micro sans avoir ça en fond et comme c’est mon travail… Malheureusement, à ces mots quelqu’un – qui ça y est, ne lève même plus la min – intervient et commence par Ah d’ailleurs ! mais l’animatrice décide que non, il faut intervenir et ne pas laisser sa journée lui filer entre les doigts, s’emporte Non ! Non ! Attendez, attendez! et se lève à moitié de sachaise, parvenant effectivement à ramener le silence, un silence géné où les regards se portent à peu près discrètement sur la petite vieille propriétaire du 407, doyenne de l’immeuble et seule personne à devoir littéralement emmener sa chaise partout, ses sonotones bien visibles et sa mine honteuse.

Il faut bien dire que l’animatrice s’attendait à un tel résultat, même s’il est arrivé plus vite qu’elle ne l’espérait. La petite vieille, elle, n’était certainement pas préparée à un tel déluge de reproches, n’ayant déjà qu’à moitié compris pourquoi on lui avait demandé de venir ce matin, au risque de la faire rater ses feuilletons préférés. Ses oreilles franchement défaillantes – les deux paires, naturelles et synthétiques – lui avaient fait rater le plus gros morceau des explications sur cette journée, et se retrouver soudain au cœur de tous ces reproches, que pour la même raison elle ne saisissait qu’approximativement, sans vraiment comprendre pourquoi, aurait énervé même le plus conciliant d’entre nous.

Ce que d’ailleurs, elle n’était pas du tout, conciliante. Unanimement reconnue par ses proches comme une personne aigrie, amère et revancharde, elle n’avait rien de la proverbiale mamie gâteau. D’ailleurs, elle se tenait aussi loin que possible de ses petits-enfants, horribles rejetons de ses regrettables – et regrettés, toujours vivants, mais regrettés par elle – enfants, ayant décrété que toute personne née plus de deux générations après la sienne n’avait, au mieux, rien à lui apporter, au pire ne pouvait être qu’un infâme enfant-roi à qui la vie n’en avait pas fait assez baver. Quand à son défunt mari, son souvenir commençait à s’estomper, et elle attendait avec impatience que le temps, inévitablement, ne le fasse disparaître de sa mémoire.

Voilà sans doute pourquoi, après avoir ressassé sa haine de la jeunesse, en écoutant à peine l’animatrice tâcher de réexpliquer qu’en vertu de la règle de la bienveillance, etc. la petite vieille se décide à gueuler qu’elle a * 89 ans, bande de plats de nouilles ! Et c’est pas des petits cons comme vous qui vont m’emmerder si je veux regarder ma télé, surtout toi la jeune d’en face que je vois bien dans quelle tenue tu te balades chez toi… !* La jeune en question – la locataire du 403, donc – se redresse, rouge de colère, et va pour répondre quand le propriétaire du 202, qui se trouve être aussi le propriétaire du 403 et donc le bailleur de la locataire, inquiet pour la teneur morale des évènements se déroulant dans son bien, saute sur l’occasion pour s’enquérir du mode de vie de celle qui regrette avoir été la dernière à critiquer la petite vieille et se serait abstenu si elle avait imaginé être la prochaine sur la liste.

C’est que, explique l’homme du 202, dans l’immeuble ça cause, enfin, ça causerait, qu’on aurait dit qu’on aurait su que si elle passe ses journées chez elle, et qu’on l’entend parler toute seule et dire des trucs bizarres, remercier des gens, et puis tous ces courriers qu’elle reçoit, c’est qu’elle ferait du porno en ligne ou un truc comme ça, alors bon, on se pose des questions. L’animatrice, trop étonée par cette dernière sortie pour penser à tâcher de rappeler la règle du respect, laisse -et écoute – la jeune locataire tenter d’expliquer qu’en réalité, elle gère une chaine Youtube orientée make-up, d’où l’avalanche de produits qu’elle reçoit pour en faire des tests/la pub. Rien de mal à cela et absolument rien de pronographique non plus. En revanche, si dans ses vidéos montées elle peut tâcher d’enregistrer la nuit quand sa bruyante voisine dort, ses tentatives de se diversifier en streamant son podcast ont systématiquement été sabordées par la télé de celle d’en face, et enfin, ajoute-t’elle * je m’habille comme je veux et je vous emmerde, vieille frustrée du cul, et à parler de porno, on pourrait en dire sur ceux que se regarde tous les après-midi mon voisin d’à côté et que j’entends plutôt bien, eux aussi !* En désignant le pseudo-randonneur du 404.

Lui, qui parmi toute cette assemblée est un des plus proches du mur, et se tenait jusque là bien en retrait de la discussion, un sourire narquois sur le visage,l’air un peu supérieur, balancé en arrière sur sa chaise, sent la chaleur lui monter au visage et perd d’un coup toute sa superbe. Il faut dire qu’il ne voit que trop bien à quoi fait référence sa voisine, lui qui tous les midis, en rentrant du travail, se jure qu’il ne va pas craquer cette fois-ci, avant d’entamer son tour habituel de l’internet, l’exposant immanquablement à diverses publicités allant du vaguement scabreux au franchement explicite, et à craquer parce que la chair est faible. Il espère quand même, paradoxalement, que ce sont les seules vidéos parmi ses habitudes de visionnage dont ses voisins ont connaissance. C’est que, la masturbation, il le sait, peut encore facilement se comprendre. Ce qu’il aurait plus de mal à expliquer, c’est sa consommation effrénée de ces sites et contenus qui sous prétexte de vous réinformer, vous livrent la vérité sur l emonde. Depuis qu’un de ses collègues gardien de nuit au dépôt de train lui a montré cette vidéo sur le Projet Reset, il ne se passe pas un ejournée sans qu’il ne découvre un nouveau complot ourdi par nos gouvernements. Il sait que tout cela est probablement ridicule, il voit bien que toutes ces histoires ressemblent bien trop, justement, à des histoires, à des scénarios, que toutes ces machinations feraient pâlir les grands méchants de James Bond ou autre. Seulement voilà, quand on est gardien de nuit au dépôt de train et qu’après huit heures de travail on débauche à 10:40, pour une arrivée chez soi à 11:20, trop réveillé pour aller se coucher – et puis se décaler complètement d’avec le reste du monde ce serait l’horreur – mais trop crevé pour faire quoi que ce soit et trop seul pour causer, eh bien les articles sur la planète X qui vous tombent dessus depuis la tablette que vous vous êtes offert pendant que vous scrollez à l’infini vissé sur vos toilettes, ils sont passionnants. Et que ceux qui jugent, comme il se le répète, essaye d’abord un peu d’avoir sa vie. En général, cet ultime rebond de fierté est ce qui précède son départ pour les plate-formes pour adultes.

Nan mais de quel droit vous dites ça, vous ? Vous avez une idée du travail que je fais ? On reconnait la le sursaut de fierté qu’on vient de mentionner. Je rentre chez moi je fais ce que je veux c’est encore chez moi je regarde ce que je veux si je veux me branler je suis chez moi, à ce que je sache, encore ! Éructe notre complotiste accro au porno. Peut-être mais moi ça me déogûte ! Alors au moins mettez un casque ! Lui répond la youtubeuse-streameuse-make-up. La discusson s’envenime quand le complotiste lui répond qu’il n’a aucune intention de se laisser imposer une dictature comme celle qu’on nous prépare, faisant définitivement dérailler l’atelier de discussion non violente dans un défouloir où chacun gueule ce qui lui fait plaisir, la youtubeuse attaquant son voisin sur les accointances politiques qu’elle lui pronostique, l’autre s’enfermant dans une défense outrée face à des accusations imaginaires et un mode de vie qu’on voudrait lui imposer, tandis que caquète Mais oui ! Mais les jeunes ! Ah mais moi ! Mais, moi, hein ! La petite vieille en fauteuil, plus tout à fait sûre de savoir pourquoi on s’engueule, mais ravie. L’animatrice, complètement dépassée, fouille dans sa chemise à la recherche d’une idée sur quoi dire et quel jeu lancer pour calmer tout le monde tandis que les autres habitants de l’immeuble s’enfoncent dans leur siège, heureux que le hasard ait fait que leurs voisins n’ait pas commencé par se plaindre de leurs petites habitudes à eux.

Et puis, un bruit tellement incongru qu’il fait s’arréter tout ce beau monde sur le champ. Un coup de sifflet sec et violent retentit. Suivi d’un deuxième, plus long, et de trois petits coups plus courts et décroissants en intensité. Tous s’arrêtent, se figent, et tournent la tête vers l’homme en jogging du 405 qui ôte lentement son sifflet de sa bouche avant de le ranger dans sa poche, savourant son effet avec un sourire éclatant, s’attardant des yeux sur chaque personne assise, avant de s’arréter sur l’animatrice.

J’ai pensé que vous aviez besoin d’un peu d’aide. Le sportif d’exprime d’une voix visiblement travaillée pour soutenir l’attention d’un public, à la diction qui se veut tellement parfaite qu’on ne peut s’empêcher de remarquer un très léger cheveu sur la langue. Alors que l’animatrice, reconaissante, s’attend à pouvoir reprendre la main, il se lève et s’avance au milieu du cercle de chaises, retroussant ses manches en un geste qui hurle l’artificialité. Une fois sûr qu’il est bien au centre de l’attention, il commence son discours, s’amusant des petits contre-temps qu’on vient de rencontrer, hein, n’est-ce pas ? Appellant à davantage de compréhension, d’écoute, avant d’exhorter la foule à ne pas se laisser tirer vers le bas ! Il y a trop de gens qui vivent toute leur vie comme ça, lourds ! C’est fatiguant, n’est-ce pas ? Il faut se libérer, se soulever, pousser sur ses jambes pour aller toujours plus haut ! Même et surtout quand c’est dur ! L’animatrice ne peut s’empêcher de remarquer qu’il s’agit globalement de répéter les règles qu’elle a elle-même mis en place dès le début, appuyées par une métaphore dont elle n’est pas sûre de voir l’intérêt. Franchement agacée, elle s’apprête à lui demander de se rasseoir pour reprendre le contrôle quand le complotiste balance au sportif qu’avant de donner des leçons, faudrait déjà user de vos jambes pour descendre tous ses cartons qui s’entassent dans le couloir et font chier tout le monde depuis trois mois. Le sportif marque un silence, l’audience retient son souffle. Il finit par répondre, d’une voix douce et calme, que ses cartons font partie de son processus, de son chemin, lui qui tente de vivre en extrême minimaliste. S’il peut trouver dans son chemin la force d’accepter que d’autres ne vivent pas comme lui, alors ses voisins doivent pouvoir accepter son chemin, pareillement. Si ce n’est pas le cas, tant pis, il ne lui en veut pas, il choisit de ne pas haïr pour ne pas se laisser tirer vers le bas. Tout juste est-il triste, pour son voisin, qui n’a pas assez confiance dans son parcours pour accepter la différence avec ouverture.

C’en est trop pour la petite vielle qui hurle qu’elle ne comprend rien, qu’elle veut partir et qu’il faut qu’on l’aide à sortir. Alors tout reprend de plus belle, le complotiste et la youtubeuse hurlant sur le sportif qui leur répond toujours avec le sourire, ce qui les énerve encore plus, se hurlant dessus entre eux, aussi, pendant que la vieille gueule au sportif qu’il n’est qu’un grand con et qu’elle veut partir, insultant tout le monde autour d’elle sans même plus viser spécifiquement. L’animatrice n’ayant plus d’autre choix, se lève et hurle, hurle en poussant ces fauteurs de trouble vers la sortie, bien décidée à ce que quatre personnes ne foutent pas sa journée en l’air.

Quelques jours plus tard, un mot fit son apparition dans le hall de l’immeuble. On y lisait toute une liste d’horreurs dédiées aux différents habitants des différents étages, depuis les adultères révélés sans preuve jusqu’aux relevés précis et factuels de tapages en tout genre. À la fin, on y apprenait que tous les signataires de la lettre partait s’installer ensemble, à la campagne, dégouté par l’attitude de tous les autres qui se croyaient mieux qu’eux. Elle était signée : Les quatre du quatrième.

On en parla pas, on préfèra faire comme si personne n’avait lu les délations, les appartements furent vidés et vite reremplis, et bientôt cette lettre fut recouverte d’avis de coupures électriques et d’infos administratives en tout genre. L’idée de la Journée des Consciences fut abandonnée, et personne ne sembla s’en offusquer plus que cela.

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