Paul Cottet-Dumoulin – s’amuser des ruines

Lorsque nous l’avons invité pour Format Réduit #1, je connaissais assez superficiellement le travail de Paul Cottet-Dumoulin. J’avais vu son exposition en duo avec Claire Guetta (Le fantôme sort de sa coquille, au Pavillon de la Courrouze, Rennes, en octobre 2019) où les deux sculptures Gateway et Rolling Stone étaient présentées, et il me restait quelques vagues souvenirs de son diplôme aux Beaux-Arts de Rennes, c’est à dire des images de moulages en plâtre et des vestes en jean repeintes.

Toujours est-il que son esthétique industrialo-cradingue et sa manie d’enfant taquin à cacher des moteurs dans les cailloux m’avaient bien plu. Connaissant maintenant plus en détails la démarche et les œuvres, il me paraît intéressant de chercher à formuler – et donc mieux comprendre – en quoi consiste la position particulière de cet artiste, toute entière concentrée dans un point d’équilibre ténu entre détachement cynique et sincérité inquiète.

Paul Cottet-Dumoulin - Corrosion, 2020 - Vue d'exposition
Paul Cottet-Dumoulin – Corrosion, 2020 – Vue de l’exposition Le Feu Réalise, lors du cycle Format Réduit #1, organisé par le Collectif 8h30, à Pol’n, Nantes

D’abord, Paul Cottet-Dumoulin est sculpteur. On les comprend très vite à parcourir son BASE, l’objet dans son volume, dans sa matière – brute – est au coœur de sa proposition. Et vu le rôle central qu’il lui offre, le choix de l’objet en question prend toute son importance; arrêtons-nous donc sur la ruine.

Il serait en effet difficile de nommer autrement le champ formel déployé au long des travaux : poutre en – imitation de – béton crevée (Peut-être sur terre, peut-être dans le futur), néon brûlé (Rolling Stone), parpaings perpétuellement enflammés (Corrosion), quand les pièces n’imitent pas directement le rebut de chantier de démolition (ou de construction ?), ils récupèrent au moins l’idée d’assemblage dans son sens le plus « maçon » (Gateway, 13 rue…). Ainsi les formes sont familières à toute personne ayant, au moins un peu, vécu en ville, résolument urbaines, architecturales dans le sens le moins stylistique, c’est à dire venue de la plus pure expérience du bâti.


Inévitablement lorsqu’on entend parler avec un tel langage, la tentation de l’hommage ready-maldien n’est jamais loin, avec ce réflexe auquel on s’adonne peut-être un peu trop facilement, et qui consisterait à jouer le plus possible sur l’incongruïté de l’intrusion d’un tel objet dans le champ artistique. Pure apparition, jeu avec un industrialisme artificiellement opposé, et voilà ! Un détournement éxécuté à la lettre.

Paul Cottet-Dumoulin - Corrosion, 2020 - Vue d'exposition
Paul Cottet-Dumoulin – Corrosion, 2020 – Vue de l’exposition Le Feu Réalise, lors du cycle Format Réduit #1, organisé par le Collectif 8h30, à Pol’n, Nantes

Ce n’est pas le cas dans les pièces de Paul Cottet-Dumoulin et cela tient sans doute un peu à leur présentation dans l’espace, beaucoup à leur échelle et plus encore à la mise en avant, l’air de rien, des points d’intervention de l’artiste sur les objets. Paradoxalement, chacune de ces pièces engage le corps, dit la difficulté à installer, à entasser, à construire. Par leur lourdeur, par cette évocation d’une vie éminemment matérielle (corrosion, choc, fonte, etc.), toutes ces pièces racontent les efforts qu’il a fallu pour les faire être là, comme ça.

Ensuite, deuxième pan formel de sa proposition, Paul Cottet-Dumoulin travaille en imprimeur. Pas par l’usage des techniques auxquelles on penserait immédiatement (pas de sérigraphie, pas d’estampes, etc.), mais dans la démarche. J’entends par là qu’il fait de chacune de ses pièces un motif. Que ce soit (Gateway, Feu.jpeg) parce que l’image globale recherchée conduit les objets à se faire parcelle, fragment d’un ensemble, ou parce que l’on vient littéralement l’imprimer dans la matière (13 rue…), l’attaquant (Corrosion, Rolling Stone), ou lui donnant tout son sens (Picnic on fire, 13 rue…), tout est motif, trame imposée, tamponnée sur l’objet. C’est par ce choix qu’est complété l’usage du détournement. C’est que : le motif n’est pas l’image, il en est la version mécanisée, souvent appauvrie, déracinée pour se faire apposable à l’envie.

Paul Cottet-Dumoulin - Feu.jpeg, 2020 - Vue d'exposition
Paul Cottet-Dumoulin – Feu.jpeg, 2020 – Vue de l’exposition Le Feu Réalise, lors du cycle Format Réduit #1, organisé par le Collectif 8h30, à Pol’n, Nantes

Ainsi, il suggère la reproductibilité – sa reproductibilité – en même temps qu’il désacralise et son support, et ce qu’il représente. Enfin, si le motif en art renvoie directement aux œuvres de tout ceux – on pense à Morellet (on pense forcément à Morellet, en bretagne…) – qui ont voulu effacer la main de l’artiste, c’est parce que ce procédé parle de technique, mais ainsi, paradoxalement renforce ce focus sur la transformation des objets par l’artiste dont on parlait plus tôt.

Ce travail de sape et cette importance du motif trouvent tous deux leur paroxysme dans le tryptique entamé avec Feu.jpeg, dont le nom évoque directement à la fois l’image répétée et sa mauvaise qualité. Le traitement de cette flamme, démultipliée jusqu’à l’usure, affichant ostensiblement son tiling (en infographie, le tiling, généralement considéré comme un artefact indésirable, consiste en ce que la répétition d’une même image au sein d’une texture soit visible) ne peut manquer d’induire une vision démystifiée du travail artistique ; son apposition, en revanche, suscite nécessairement la curiosité.

Paul Cottet-Dumoulin - Feu.jpeg, 2020 - Vue d'exposition
Paul Cottet-Dumoulin – Feu.jpeg, 2020 – Vue de l’exposition Le Feu Réalise, lors du cycle Format Réduit #1, organisé par le Collectif 8h30, à Pol’n, Nantes

Alors, finalement, que nous disent ensemble ces objets et ces motifs ? Quel discours voit-on émaner de ces pièces ? C’est là, il me semble, qu’une véritable cohérence se fait jour dans les propositions de Paul Cottet-Dumoulin, et qu’il atteint cet équilibre particulièrement intéressant.
Il nous faut revenir un instant sur le champ plastique dont tous les matériaux sont tirés, pour dire platement ce qu’on voit assez vite : le monde évoqué par ces œuvres ne fait pas réver. De l’urbain ravagé aux procédés de surveillance, on a une forme de brutalisme général, qui pourrait lorgner sur l’imageria autoritaire, ou au moins catastrophiste. Or, il ne s’agit pas, de l’aveu même de l’artiste, « de donner des leçons ». Après tout, si le détournement en art s’est à l’origine donner comme obectif de saper la superbe et l’importance des sphères culturelles n’est-il pas devenu aujourd’hui un des codes majeurs de l’importance auto-accordée à ces sphères ?

Paul Cottet-Dumoulin - Le déjeuner sur l'herbe, 2020 - Vue d'exposition
Paul Cottet-Dumoulin – Le déjeuner sur l’herbe, 2020 – Vue de l’exposition Le Feu Réalise, lors du cycle Format Réduit #1, organisé par le Collectif 8h30, à Pol’n, Nantes

Alors, rabaisser ce geste par l’apparition du motif et le rappel du geste élémentaire nécessaire à la construction d’un détournement, c’est aller jusqu’au bout de la déconstruction, et dire la désespérance de ceux qui ont vu ces tentatives échouer, en même temps qu’on offre, en échappatoire, quelque chose à quoi se raccrocher, une curiosité à partager, et une invitation à en rire ensemble. Il y a là une vraie dichotomie qui me paraît bien tenue – et c’est là le tour de force -, entre rire désespéré, presque cynique, et recherche d’un commun sincère, teintée d’optimisme.

Paul Cottet-Dumoulin n’a pas la légitimité biographique d’un Leibach, pour tenter la provocation et le pastiche politique ; il n’a pas non plus – mais qui donc ? – de solution à proposer. Mais parce qu’il affiche clairement sa volonté de trouver un langage qu’on parle tous sans le savoir, il nous offre une occasion de s’amuser ensemble de nos ruines. On aurait tort de s’en priver.

Écoutez l’entretien réalisé à la suite de ce texte avec Paul Cottet-Dumoulin :

Paul Cottet-Dumoulin, s'amuser des Ruines, miniature