carving noise

Carving Noise : Composing for Infinite Computation (ou Tailler dans le Bruit : Composer avec une Computation Infinie) est un projet de thèse en recherche-création, démarré en novembre 2023 au sein du laboratoire Paragraphe (Sciences de l’Information et de la Communication, Université Paris 8), pour lequel je suis dirigé par Everardo Reyes (PR), en co-tutelle internationale avec Miguel Carvalhais (MCF HDR, Doctoral Program in Digital Media, Universidade do Porto).

Travailler à partir de la computation, c’est travailler sur le numérique par le numérique d’après le numérique. C’est aller chercher dans les liens historiques et inextricables entre logique, sciences informatiques, sciences cognitives et philosophies de l’esprit, des clés de compréhension sur le fonctionnement technique d’une technologie devenue ubiquitaire. C’est enquêter sur les possibilités et limites sémantiques d’une machine apparemment alien, pourtant censée émuler notre pensée.

À la croisée des media studies et du noise art, ce projet s’intéresse à l’infinitude computationnelle : la capacité, pour tout système de computation, à s’auto-perpétuer, pour produire toujours plus d’informations, sans perspective de conclusion intrinsèque ; en tant qu’artiste, c’est tailler à coups de systèmes, dans un bruit assourdissant et autorégénéré, une forme qui exprime avant tout comment elle est produite.

Kuhn, Arthur - Carving Noise, miniature

Le projet Carving Noise a donné lieu à la publication d’un premier article introduisant mon approche d’une esthétique de la computation, présenté dans le cadre de la conférence xCoAx 23 : Keep On Keeping On (en)

Si j’ai choisi ce prisme de l’infinitude, c’est qu’il s’y joue une part non négligeable de ce que Brian Cantwell Smith qualifie de « métaphysique de la computation ».1 Un rapport – le rêve d’un dépassement, en l’occurrence – à la finitude, « ce qui a fait comment on a fait » l’ère de la computation planétaire. Qu’on pense à l’entraînement d’intelligences artificielles fonctionnant parce que l’on est en mesure d’accumuler et de parcourir des masses de données littéralement inhumaines ; à la persistance toujours plus poussée de mondes virtuels dans des jeux massivement multijoueurs ; ou à la distribution devenue vitale d’informations d’un support à l’autre, d’un mode de consultation et d’enregistrement à l’autre, et partout autour du monde ; il semble que, par-delà les spécificités technologiques, une large partie du paradigme computationnel en place repose sur cette idée d’un fonctionnement perpétuel, d’une capacité sans fins à la production et au traitement d’une information, qui ne se soucie guère de conclure.

Alors, par une pratique de développement web et d’écriture de pièces sonores basée sur ces principes techniques et sémantiques – dont le récit accompagnera une recherche plus académique – il s’agira d’explorer, de proposer, ce que pourrait être une pratique artistique qui rend compte, et parle depuis, ce comportement infini. Posant le bruit comme forme primordiale de l’information, prima materia de tout système de computation, et les boucles programmatiques comme sa poiesis, les pièces sonores seront appelées à se développer entre obsession itérative, récursivité labyrinthique et effondrement permanent. Nourri par ma pratique du mur bruitiste (Harsh Noise Wall) mais aussi par un travail de partitions aussi bien inspirées de la datavisualization que des métaphores hermétiques de l’Atalanta Fugiens,2 Carving Noise vise à plonger dans la technique pour en tirer une proposition esthétique qui soit la mise en geste de ce que nous fait la computation, maintenant qu’elle n’en finit plus de ne pas s’arrêter.

  1. Smith, Brian Cantwell. 2002. « The Foundations of Computing ».
    In Computationalism: New Directions,
    éd Matthias Scheutz. MIT Press.
  2. Maiers, Michael. 2015 [1617]. Atalanta Fugiens.
    Old Book Publishing Ltd.
    Voir, pour une version en ligne : Furnace & Fugue, University of Virginia Press. https://doi.org/10.26300/bdp.ff.maier